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L’utilisation de drones au sein aux fins de constat d’infractions : quel régime juridique en copropriété ?

Un drone peut-il être utilisé par Syndicat de copropriétaires dans le but de constater une infraction à des règles juridiques ? Le cas échéant, quelle est la procédure à suivre ?

Après avoir abordé les règles juridiques qui encadrent l’utilisation des caméras embarquées au sein des véhicules stationnés sur les parkings privatifs ou communs d’une copropriété (voir notre article dédié sur le sujet), nous vous présentons un sujet pouvant, de prime abord, paraître anecdotique, mais qui risque d’être extrêmement porteur dans les années à venir : l’utilisation des drones au sein des copropriétés.

En effet, les drones s’installent progressivement dans notre quotidien : des expérimentations d’Amazon pour assurer des livraisons à domicile, en passant par l’utilisation par certaines collectivités dans le but de détecter les risques d’effondrement de certains immeubles vétustes, sans oublier l’utilisation aux fins de sureté publique par les forces de l’ordre (officialisée par le décret n° 2023-283 du 19 avril 2023).

Fort heureusement, ces nouveaux moyens de captation d’images sont assortis de nombreuses garanties dans l’espace public. Par exemple, le II de l’article R. 242-11 du Code de la sécurité intérieure prévoit que les autorités administratives sont tenues de supprimer « les images de l’intérieur des domiciles et, de façon spécifique, leurs entrées lorsque l’interruption de l’enregistrement n’a pu avoir lieu (…) ».

Quid des copropriétés ?

1) L’utilisation par les pouvoirs publics

A priori, la réponse semble être évidente : les pouvoirs publics ne peuvent pas mobiliser ces technologies au sein des copropriétés.

À ce propos, une question parlementaire a été adressée au ministre de la Cohésion des territoires, le 11 janvier 2018, visant à répondre à une interrogation : une commune peut-elle procéder à des contrôles sur les propriétés privées au moyen de drones et à l’effet de relever d’éventuelles infractions aux règles d’urbanisme ?

Auparavant la réponse était sans équivoque : « la captation d’images par la voie des airs au moyen d’un drone survolant une propriété privée peut être considérée comme une ingérence dans la vie privée ». La jurisprudence considérant d’ailleurs que la prise d’images opérée par des policiers au sein d’une copropriété est constitutive d’une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et du Citoyen (relatif à la vie privée et familiale), sauf si cette dernière est fondée sur une prévision législative (Crim., 21 mars 2007, n° 06-89444).

Cependant, plusieurs dispositions fixent désormais des dérogations pour l’usage de ces engins volants, notamment l’article 427 du Code de procédure pénale disposant que « les infractions peuvent être établies par tout moyen de preuve » (voir également l’article 706-96 du même Code).

En clair, cette disposition érige un principe de liberté de la preuve au profit de l’administration, dès lors qu’elle vise à constater des infractions pénales. Or, en l’espèce, de nombreuses infractions pénales aux règles d’urbanisme et de fiscalité peuvent toucher les copropriétés, particulièrement à l’endroit de celles horizontales (ensemble de lots sur un terrain commun composé de maisons individuelles). Tels sont les cas lors de la construction d’un équipement illégal ou non déclaré pour le calcul de l’assiette des impôts fonciers (par exemple, v. art. L. 480-4, Code de l’urbanisme).

De ce fait, en l’état du droit, rien n’interdit les forces de l’ordre à accéder aux parties communes d’une copropriété (horizontale en pratique) grâce à un drone.

2) L’utilisation par une personne privée aux fins de constatations d’infractions ou de défauts

Certaines personnes privées (physiques et morales) peuvent également utiliser ces technologies à d’autres fins, notamment en vue de contrôler les défaillances énergétiques ou thermiques des bâtiments.

A cet égard, des entreprises proposent désormais des services de thermographie de réseau de chaleur par drone dans le but de constater des fuites ou des défauts d’isolation, déterminants au regard des nouvelles obligations de performance énergétique prescrites par les diagnostics techniques, spécifiquement le DPE (voir notre article sur le sujet).

Toutefois, les personnes privées sont régies par un cadre juridique différencié, en fonction de la qualité du pilote, conformément à la lecture combinée de deux arrêtés du 17 décembre 2015 relatif à l’utilisation et à la conception des aéronefs ainsi qu’un arrêté du 3 décembre 2020 relatif à l’utilisation de l’espace aérien par les aéronefs sans équipage à bord.

En premier lieu, dans l’hypothèse d’un drone utilisé par une entreprise spécialisée, ce dernier sera juridiquement réputé être professionnel. Son usage est donc plus permissif, à la condition que l’entreprise ait effectué toutes les démarches administratives et techniques préalables (art. 5, arrêté 3 décembre 2020). L’ensemble de ces documents pouvant d’ailleurs être exigés par le Syndic de manière à vérifier que la société réponde à toutes les conditions réglementaires.

En second lieu, s’il s’agit d’une personne privée non-professionnelle (possiblement un copropriétaire), le cadre juridique est beaucoup plus restrictif (art. 6, même arrêté). En effet, ce dernier doit réaliser une déclaration préalable auprès de la préfecture, au moins 5 jours avant son intervention.

De surcroît, il est tenu de justifier d’une assurance professionnelle (nécessaire en cas de dommages sur la structure du bâtiment) et être répertorié auprès de la Direction générale de l’Aviation civile. En outre, l’aéronef ne doit pas voler « à une hauteur de 15 mètres au-dessus de la hauteur de l’obstacle artificiel » (art. 8).

Autrement dit, le drone ne pourra pas voler (et donc photographier) à moins de 15 mètres d’un toit d’immeuble ou d’une maison relevant du statut de la copropriété, ce qui réduit significativement les possibilités de faire des constats précis.

Enfin, il est à préciser que le pilote - indistinctement de sa qualité - a l’interdiction d’utiliser son engin volant la nuit (art. 3). Dès lors, la tentation de faire voler le drone de nuit afin d’éviter la captation d’images de copropriétaires circulant dans les parties privatives est juridiquement illégale (du moins, sans leurs accords exprès).

b) La captation et l’exploitation de ces données

Le sujet le plus épineux - et certainement le plus déterminant pour les copropriétaires - réside dans l’exploitation des données résultant de ces vols.

Par exemple, une copropriété exploitant des données filmées, qui mettent en exergue des constructions illégales sur certains lots, peut-elle diligenter une action contentieuse à l’égard des copropriétaires concernés ?

La Cour de cassation ne s’étant pas prononcée sur la question, il est toutefois possible d’anticiper assez clairement le raisonnement du juge, en se basant sur son interprétation à propos des caméras de vidéosurveillance.

En effet, suivant une jurisprudence constante, si l’installation d’un système de surveillance dans une copropriété porte atteinte aux modalités de jouissance des parties privatives, elle doit être votée à l’unanimité des copropriétaires, soit à la majorité absolue de l’article 25 de la Loi du 10 juillet 1965 (CA Paris, 4 novembre 2009, n° 08/03950).

Cette affaire est d’ailleurs éclairante pour anticiper la position du juge puisqu’en l’espèce un Syndic avait jugé qu’il fallait voter ce point à l’article 26 de la Loi précitée (majorité des membres du Syndicat). Or, dans cette affaire, le juge judiciaire a considéré que :

« L’installation d’un système de vidéosurveillance impliquant la possibilité d’observer la circulation de toutes personnes se rendant dans les différents appartements de l’immeuble et l’enregistrement des données constitue une indiscutable atteinte à l’intimité des occupants de ces divers appartements. Dès lors, il est porté une atteinte aux modalités de jouissance des parties privatives, laquelle ne pouvait être acceptée que par l’unanimité des copropriétaires. »

Par conséquent, il semble indiscutable que le même raisonnement puisse être transposable à l’égard des drones qui impliquent la possibilité d’observer la circulation des personnes dans leurs logements, savoir des parties privatives (surtout dans les copropriétés horizontales dotées de jardins).

Dans cette continuité, par un arrêt du 15 mai 2019, la Cour d’appel de Paris a considéré, à propos d’un constat par drone de constructions illicites, que :

« L’article 9 du code civil dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée. En vertu de ce texte le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée d'une personne qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi. (…)

Cependant la prise de vue aérienne de la propriété privée des consorts D Z sans leur accord, constitue à l'évidence une atteinte à leur vie privée et ce même si elle n'en montre pas ses occupants. (…) ».

Ils ne peuvent dès lors justifier du caractère indispensable à la preuve judiciaire et proportionné au but poursuivi de la production aux débats d'éléments portant atteinte à la vie privée. »
(CA Paris, Pôle 1, 15 mai 2019, n° 18/26775).

Concrètement, il ressort de cet arrêt que les preuves résultant d’un constat par drone doivent être mises en balance avec d’autres principes : la loyauté de la preuve et le respect de la vie privée. Cette conciliation étant assurée par un contrôle de proportionnalité du juge.

Or, il ne fait nul doute que la décision unilatérale du Conseil Syndical ou une décision prise à la majorité de l’Assemblée générale de l’article 24 de la Loi du 10 juillet 1965 souffrira d’une fragilité juridique puisqu’un copropriétaire pourra faire valoir son opposition individuelle à ce dispositif (surtout si ce dernier est concerné par le constat et a voté défavorablement sur ce point lors de l’Assemblée générale).

En outre, le copropriétaire lésé qui s’est opposé formellement à l’usage des caméras aéroportées, pourra saisir la CNIL au titre d’une violation de sa vie privée pouvant, le cas échéant, conduire à des sanctions pécuniaires. La CNIL ayant déjà émis de nombreuses réserves à propos de l’utilisation de ces nouveaux engins en estimant qu’il est difficile « de respecter l’interdiction de filmer l’intérieur ou les entrées des immeubles d’habitation : les mesures techniques mises en place sont bien souvent insuffisantes voire inopérantes » (CNIL, délibération n° 2021-011 du 26 janvier 2021).

Ainsi, seul un vote à l’unanimité fondé sur l’article 26 de la Loi précitée permettrait de sécuriser le vol et l’exploitation des images prises par un drone.

Pour toutes ces raisons, nous vous conseillons fortement de prendre attache auprès d’un avocat spécialisé sur ces questions afin vous assurer que l’ensemble des critères légaux soit respectés, permettant d’éviter un « crash » d’une procédure qui serait basée sur des éléments de preuve provenant de l’utilisation d’un drone.

Notre équipe d'experts se tient à votre disposition pour vous accompagner dans ces démarches, n'hésitez pas à nous contacter.

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